L’influence de la langue en psychothérapie

par | 22 mars 2018

Cette actualité appartient aux catégories suivantes : Bien-être perso

Orison S. Marden, un auteur américain, disait : « Nous créons nous-même le monde dans lequel nous vivons et façonnons notre propre environnement ». Le monde que nous créons aujourd’hui est globalisé, composé de personnes appréciant la liberté de vivre et de travailler dans différents pays au cours de leur vie. De cette manière, nous façonnons notre environnement et laissons l’environnement nous façonner. Au quotidien nous utilisons plus d’une langue, nous nous adaptons aux différentes cultures qui nous entourent et apprenons à tolérer les différences tout en gardant notre propre personnalité et identité culturelle.

 

Le rôle de la langue

En parlant de son expérience d’immigration au Royaume-Uni pendant la deuxième guerre mondiale, Freud (comme cité dans Urdans, 2016, p.156) fait référence à « la perte de la langue en laquelle on a vécu et pensé et que l’on ne pourra jamais remplacer par une autre, quelques efforts affectifs que l’on fasse ”. La langue joue un rôle majeur dans la formation de l’identité et des souvenirs, et souvent les personnes changent des parties de leur identité et adaptent même le ton de leurs voix et leurs gestuelles. En psychothérapie, la langue contribue fortement à la formation de l’alliance thérapeutique, à la confiance et à la compréhension. C’est souvent les nuances linguistiques, les gestes subtils, le symbolisme culturel et les idiomes spécifiques à une langue qui permettent au thérapeute d’établir une connexion et de comprendre ce que ressent son patient et comment celui-ci le ressent. La thérapie serait-elle alors plus efficace dans la langue maternelle du patient ?

 

Qu’est-ce qu’une langue maternelle ?

Pour trouver la réponse, il faut d’abord essayer de définir ce qu’est “la langue maternelle”. “La langue maternelle” est la langue à laquelle une personne a été exposée depuis sa naissance ou durant sa « période critique » (un terme souvent utilisé en linguistique en relation avec l’acquisition de la langue pendant la petite enfance). Cependant, ceci n’inclue pas les personnes bilingues ou multilingues qui ont été exposées à plus d’une langue. Il est très fréquent que des personnes soient exposées à plusieurs langues au cours de différentes phases de leurs vies et dans leurs relations. Par exemple, un enfant peut parler une langue à la maison et une autre à l’école, à l’université etc. En somme, la langue mûrit avec nous : plus on grandit, plus les compétences linguistiques et le vocabulaire changent et s’adaptent à nos besoins, notre environnement et nos expériences. Il est très important de noter le rôle des langues dans la dynamique d’une thérapie car, même si les thérapeutes ne sont pas souvent exposés à des patients bilingues ou multilingues, ils le sont parfois eux-mêmes.

 

Pourquoi favoriser sa langue maternelle ?

Ma propre expérience de patiente bilingue, ayant fait une thérapie en anglais et en serbe, ainsi que ma langue maternelle, me donnent un bon aperçu de la dynamique de changement et des axes thérapeutiques qui s’y jouent. Avec mon thérapeute anglais je parlais rarement de ma famille, je décrivais mes relations avec mes parents et les événements de ma vie [avant d’avoir quitté la Serbie] de manière objective, rationnelle, avec une perspective d’adulte. Mon anglais me permettait de les décrire très clairement, mais je réalise maintenant la distance émotionnelle avec laquelle j’essayais de reparler de ces événements de mon passé, les ajustant, de manière inconsciente, à l’utilisation d’une autre langue mais aussi en les ajustant à travers le prisme d’une autre culture. Il y a beaucoup de mots qui perdent une partie de leur signification une fois traduits, ou d’autres qui étant spécifiques à une culture perdent de cette spécificité au cours de la traduction. Etonnamment, je n’ai pris conscience de cela que lorsque j’ai débuté ma thérapie en serbe, des années plus tard.

Comme la plupart des thérapies dérivent de la psychanalyse freudienne, il est intéressant de noter que Freud lui-même travaillait en anglais alors qu’il était autrichien (il parlait donc allemand). Djakonova (2016) nous rappelle également le cas de cette patiente allemande fuyant la guerre et débutant une analyse en anglais car elle refusait de parler allemand. C’est seulement plus tard dans la thérapie, lorsqu’elle commença à utiliser sa langue maternelle, qu’elle pût traiter des anxiétés de son enfance et du traumatisme de la guerre. De manière similaire, en tant que thérapeute cette fois, j’ai travaillé avec un patient français, vivant à Londres, qui insistait pour faire ses séances en français mais, dès lors qu’il se mettait à parler, utilisait l’anglais. Ce n’est qu’une fois que le patient a commencé à être plus engagé émotionnellement, après 3 sessions, qu’il a utilisé le français. Il a ensuite brutalement arrêté la thérapie m’informant que cela était trop difficile pour lui. Il n’est jamais revenu.

De cette expérience, je me suis toujours demandée si mon approche en tant que thérapeute avait été la bonne et ce que j’aurais pu faire différemment. Si ce patient avait consulté un thérapeute français, il ne se serait peut-être pas enfui ou distancié de cette manière et sa thérapie aurait été plus efficace. Djakonova a suggéré d’utiliser le bilinguisme comme outil dans la thérapie, en prêtant attention à la manière dont le patient intervertit les langues pendant une consultation parce que nous nous sentons souvent plus à l’aise de parler de nos tabous et de sujets délicats dans notre seconde langue.

 

Finalement, selon moi, commencer une thérapie dans sa langue maternelle est souvent le meilleur choix. Avec la mondialisation et grâce aux technologies modernes et au développement de la psychothérapie en ligne, il n’a jamais été plus facile de consulter un thérapeute dans sa langue maternelle où que l’on se trouve.

 

Nadia Zivkovic-Nikitin, auteure de cet article, est psychologue clinicienne du réseau Eutelmed depuis 2017. Elle a étudié, vécu et travaillé en France et au Royaume-Uni avant de revenir chez elle, en Serbie. Nadja est une thérapeute intégrative, ce qui signifie qu’elle combine différentes approches cliniques telles que les thérapies humanistes, psychodynamiques ou cognitivo-comportementales. Elle consulte en anglais et en serbo-croate. En savoir plus sur Nadja.

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